C'est dans ce contexte que le voilier scientifique polaire Tara a commencé en septembre 2006, une dérive arctique avec l'objectif d'étudier les phénomènes liés aux changements climatiques. Avec sa coque ronde et plate, ce bateau peut se laisser bloquer par les glaces et est assez solide pour résister aux pressions extrêmes que la banquise peut exercer. Dirigée par Etienne Bourgois, cette expédition, au cœur de l'Océan Arctique s'inscrit dans le cadre de l'Année Polaire Internationale (API) 2007-2009. Elle est un partenaire du programme européen scientifique Damocles (Developping Arctic Modelling and Observing Capabillities for Long-term Environmental Studies). Ce Programme qui réunit 45 laboratoires issus de 10 pays européens, des Etats-Unis et de Russie vise à observer, comprendre et quantifier les changements climatiques en Arctique afin d'aider à la prise de décisions face au réchauffement de la planète. Son objectif final consiste à mettre en œuvre un système d'observations et de prévisions à long terme de l'Océan Glacial Arctique de façon à évaluer et prédire les risques et les impacts d'événements climatiques extrêmes.
Après un peu plus d'un an, l'équipage de la goélette polaire Tara et les scientifiques associés à ses observations ont présenté leurs observations concernant la banquise arctique après plus de 400 jours de dérive.
La communauté scientifique note un recul spectaculaire de la banquise de plus d'1 million de km2 de glaces de mer entre septembre 2005 et septembre 2007 et un accroissement de la vitesse de la dérive transpolaire qui va du détroit de Béring au détroit de Fram. Cette accélération des mouvements de la dérive transpolaire arctique, peut en partie être tenue pour responsable de la diminution de la surface couverte par la banquise à la fin de l'été 2007. Tara sortira de l'Océan Glacial Arctique avant la fin de l'année 2007 alors que nous prévoyions cette sortie au cours de l'été 2008, expliquent les scientifiques. Partie, en septembre 2006, de Lorient , la goélette polaire Tara devrait donc retrouver la Bretagne plus tôt que prévu.
Au cours de l'été 2007, les responsables de la mission Tara Damocles ont aussi constaté une accumulation de glaces compactes et épaisses le long des côtes du Groenland et du Canada ainsi que dans le détroit de Fram. Par contre dans tout le reste de l'Arctique la navigation dans les glaces n'a présenté aucune difficulté : lors de l'été 2007, il était possible de passer du delta de la Lena en Sibérie à celui du Mackenzie au Canada sans rencontrer un seul morceau de glace dérivante.
Enfin, les scientifiques ont mis en évidence une amplification des flaques de fonte à la surface de la banquise - qui recouvrent désormais plus de 50% de sa surface en été - et une augmentation de la pluviosité dans le secteur situé entre le Groenland, le Spitsberg et le pôle nord géographique liée à des entrées d'air chaud et humide en provenance du nord de l'Europe.
Toutes ces observations et les mesures collectées lors de l'expédition permettront aux scientifiques d'établir les causes de certains phénomènes constatés. Les recherches sont conduites à la fois dans l'atmosphère par l'analyse de 100 profils de température, d'humidité et de vitesse et direction du vent entre la surface et 2000 m d'altitude complétées par des analyses au sol entre 0 et 10 m et par l'analyse du rayonnement solaire incident et réfléchi, des flux radiatifs et turbulents et de l'albédo, expliquent les responsables du projet. Les recherches sont conduites aussi dans l'océan par l'analyse des relevés de température et de salinité entre la surface et 1000m ou plus de profondeur effectués toutes les 48 heures.
D'ores et déjà, l'équipe de Tara a relevé des indices forts de réchauffement des masses d'air et d'eau. En se basant sur les récentes observations de la banquise arctique, les responsables de la Mission estiment qu'il est fort probable que la banquise arctique aura disparu en été dans les 10 à 15 années qui viennent.
Au rythme actuel d'une perte de banquise de 500 000 km2 en plus chaque année en été et sachant que la surface actuelle à la fin de l'été est de l'ordre de 4 à 5 millions de km2, il suffirait donc de 8 à 10 ans pour que cette banquise d'été disparaisse, signale l'équipe de la mission. Selon les scientifiques, cette disparition contribuerait à fortement augmenter l'absorption par l'océan de 80% de l'énergie solaire incidente qui, autrement, en présence de glace, serait réfléchie vers l'espace. Conséquence : réchauffer localement l'océan superficiel, et ainsi l'atmosphère, ce qui entraînerait une fonte accélérée des glaces continentales du Groenland et une élévation du niveau de la mer de l'ordre de 1m (ou plus) d'ici la fin du siècle ! Cet afflux d'eau douce vers l'Océan de part et d'autre du Groenland, aurait aussi pour conséquence majeure de ralentir la montée des eaux chaudes et salées de l'Atlantique nord vers l'Océan Arctique et donc de refroidir l'Europe Occidentale entraînant un bouleversement climatique bien au delà des régions arctiques et subarctiques.
Enfin, une évolution des conditions environnementales en Arctique pourrait aussi avoir des conséquences géopolitiques et socio économiques : ouverture de nouvelles voies maritimes entre l'Est et l'Ouest, exploitation de ressources minérales (pétrole et gaz) et vivantes (pêche), changement radical des modes de vie des populations autochtones, modification des écosystèmes etc…