Commissaire générale au développement durable
Michèle Pappalardo : Effectivement. Cette transversalité s'organise à deux niveaux.
Au niveau du Ministère tout d'abord. Nous avons regroupé toutes les fonctions transversales au sein du Commissariat Général au Développement Durable c'est-à-dire l'observation, la statistique, la recherche, les études économiques, l'évaluation et l'intégration du développement durable. A charge pour nous de mettre toutes ces compétences au service des autres directions. Ainsi, chacun d'entre elle peut librement accéder aux réflexions en cours, aux études, aux propositions et aux évaluations.
Mon autre casquette, celle de déléguée interministérielle, implique que ces mêmes moyens soient mis à la disposition de l'ensemble des ministères mais aussi des acteurs socio-économiques avec des missions spécifiques. L'une d'entre elle consiste à élaborer et à assurer le suivi de la stratégie nationale de développement durable.
AE : Dans une administration qui traditionnellement fonctionne de manière verticale et cloisonnée, est-il facile d'imposer cette culture de la transversalité ?
MP: Ce n'est pas classique, c'est vrai. Mais le mode d'organisation et le fait d'avoir regroupé ces services, en étroite collaboration les uns avec les autres, va « naturellement » dans le sens de la transversalité.
Bien sur, compte tenu de l'étendue des sujets auxquels s'appliquent les démarches de développement durable, il est difficile d'être immédiatement à 100% présents sur tous les fronts ! Il y a des sujets sur lesquels nous sommes plus présents que d'autres…Mais, les choses se mettent en place progressivement et nous allons dans le bon sens.
Alors, aujourd'hui, nous sommes évidemment totalement mobilisés sur le Grenelle Environnement, à la demande de Jean-Louis Borloo. Le Commissariat Général est en effet chargé de suivre la mise en œuvre des 268 engagements du Grenelle Environnement. Nous sommes en quelque sorte le « back office » du cabinet sur ce formidable chantier. C'est un vrai défi car il faut à la fois être dans la réflexion pour élaborer les stratégies, et dans l'opérationnel, pour créer les outils nécessaires.
AE : Le commissariat est également en charge de disséminer les idées du développement durable au sein de l'ensemble de la société. Quels sont ses outils pour passer du concept à la pratique?
MP: Le développement durable, c'est une philosophie d'action. Il faut qu'on arrive à l'appliquer à tous les niveaux et à toutes les activités. Je ne veux pas que le commissariat soit seulement un grand théoricien du développement durable. Nous souhaitons que le développement durable s'incarne dans des politiques et dans des actions concrètes. Or, si nous voulons décliner le développement durable de façon très opérationnelle, nous devons nous situer au plus près des acteurs pour les accompagner, les conseiller et les orienter.
Nous aidons à la fois les collectivités territoriales et les entreprises à intégrer le développement durable. Pour cela, nous devons travailler notamment sur l'information, la sensibilisation et la formation. Aujourd'hui, la prise de conscience progresse fortement dans la société française et les initiatives se multiplient sur le terrain. Certes, on peut toujours lancer de nouvelles actions mais à l'heure actuelle, nous nous efforçons surtout d'organiser et de mettre en œuvre celles qui existent déjà. Il s'agit ainsi de mettre le maximum d'outils au service des différents acteurs et de partager les meilleures pratiques.
Le contexte a beaucoup évolué depuis quelques années. Le développement durable est un concept relativement récent et nous n'avons pas toujours réponse à tout. A nous de savoir évoluer, inventer et proposer pour nous adapter en permanence à chaque situation.
AE : La crise pourrait-elle freiner le développement durable ?
MP: Au contraire ! Permettez-moi de vous donner un chiffre : près de 35% des investissements du Plan de relance, soit 5 milliards d'euros, concernent directement les chantiers du Grenelle Environnement. En prévoyant ainsi des investissements sur plusieurs années, le Grenelle Environnement permet de donner de la visibilité à nos entreprises et du travail !
Grâce au Grenelle Environnement et à tout le travail de réflexion effectué en amont, nous avions des solutions presque « clef en main ».Tout avait été pensé, chiffré et évalué en matière de transports ou de construction bien avant le début de la crise. Si ces idées se concrétisent aujourd'hui dans le cadre du Plan de relance, c'est justement parce qu'elles n'étaient pas improvisées.
Aujourd'hui, je ne vois personne qui me dise : « le développement durable, on en reparlera plus tard » ! Il n'y a aucune remise en cause des politiques de développement durable. Et ça m'étonne même ! Je ne pensais pas qu'on en était arrivé à ce point d'appropriation du sujet.
AE : Vous travaillez actuellement à l'élaboration de la nouvelle stratégie nationale de développement durable ?
MP: La précédente s'achevait en 2008. La nouvelle version est actuellement soumise aux différents acteurs du privé comme du public. C'est une stratégie, ce qui implique forcément une vision à moyen et long terme. Au-delà du Grenelle Environnement, elle va permettre d'intégrer les aspects sociaux et économiques du développement durable : l'insertion sociale, la coopération Nord Sud, la santé... La crise ne fait que renforcer cette nécessité. Ce qui est vraiment nouveau c'est que tous les acteurs ont conscience que les frontières du développement durable ne s'arrêtent pas à l'écologie. Or, c'était loin d'être le cas auparavant.
AE : Quels sont les sujets prioritaires aujourd'hui ?
MP: Ils sont nombreux… Par exemple, au niveau de la formation, nous devons coordonner et voir comment nous pouvons encore améliorer les choses... Il faut aller plus loin, plus vite et plus fort sur les professions du bâtiment. Nous manquons d'informations sur les carences en compétences. Nulle part je n'ai vu la liste de ces manques. C'est une vraie priorité pour nous.
Autre sujet sur lequel nous devons porter notre attention : la prospective. Dans le commissariat, au sein de la délégation au développement durable, il y a une mission prospective qui fera l'objet d'un travail soutenu en 2009.
Ce qui nous manque aujourd'hui, c'est de voir vers quel modèle équilibré mondial on veut aller quand on dit qu'il faut changer les modes de consommation et de production. Nous avons des idées sur ce que l'on voudrait (économie plus sobre en matières premières...), mais pas encore sur la manière dont les choses vont s'équilibrer. Avec la crise, nous vivons une période relativement déstabilisante : nous voyons ce qui s'effondre mais nous ne savons pas encore exactement ce qui va le remplacer. Il est donc essentiel d'avoir une vision prospective, en lien étroit avec le nouveau Conseil économique pour le développement durable.