Bon début…
Quatre enseignements principaux peuvent être retenus du retour d'expérience sur les mécanismes de projet du protocole de Kyoto.
Premièrement, en présence d'un signal-prix exogène crédible, les acteurs économiques non directement soumis à des contraintes sur leurs émissions de gaz à effet de serre peuvent réduire leurs émissions. Dans le cas des mécanismes de projet du protocole de Kyoto, ce signal-prix crédible a été fourni par le système européen d'échange de quotas. Les mécanismes de projet permettent donc de compléter un système de cap-and-trade ou une taxe carbone, qui ne peuvent en règle générale pas être appliqués dès le départ à tous les acteurs économiques pour des questions d'acceptabilité politique, des raisons techniques ou encore du fait du manque d'information de l'autorité publique. Sur certains secteurs, la mise en place de mécanismes de projets permet ainsi à l'autorité publique d'étendre progressivement la contrainte, en lui fournissant des informations sur les méthodes de mesure et les coûts d'abattement. Par exemple, les émissions de N2O qui bénéficient aujourd'hui en Europe de la mise en œuvre conjointe (MOC) seront intégrées au système européen d'échange de quotas à partir de 2013.
A l'inverse, un certain nombre de sources d'émissions pourront difficilement être soumis à des quotas ou à une taxe à court terme pour des raisons techniques : c'est par exemple le cas des émissions de méthane dans le secteur énergétique ou les déchets, pour lequel les émissions sont impossibles à mesurer et difficiles à modéliser, mais pour lequel les réductions d'émissions générées sont extrêmement faciles à mesurer ; c'est également le cas aujourd'hui de larges pans des émissions du secteur agro-forestier. Dans ce cas, les mécanismes de projet permettent dès aujourd'hui de diffuser un signal-prix.
Le troisième enseignement est que le système parfait de projets n'existe pas : il faut donc accepter de travailler avec des outils imparfaits, et les améliorer progressivement. Dans le cas du mécanisme pour un développement propre (MDP) existait au départ un risque d'inciter à produire des gaz industriels dans le seul but de générer des crédits. Ce défaut de jeunesse a depuis été corrigé. Par ailleurs, la démonstration du caractère « additionnel » des réductions d'émissions générées par les projets comporte nécessairement une part de subjectivité. La seule façon rigoureuse de prouver le caractère additionnel d'un projet consiste en effet à ne pas lui octroyer de crédits, et à constater que le projet ne voit pas le jour : ce n'est pas de cette façon que les émissions seront réduites !
Enfin, les mécanismes de projet améliorent l'efficacité globale des systèmes de contrainte mis en place, en contribuant à la convergence vers un prix unique. Les prix observés sur le système d'échange entre Etats du protocole de Kyoto se rapprochent ainsi aujourd'hui de ceux des crédits Kyoto et donc des quotas européens. La presque-totalité des systèmes de cap-and-trade en cours d'élaboration dans le monde reconnaissent aujourd'hui les crédits Kyoto, ce qui laisse augurer d'une convergence progressive du prix du carbone au niveau mondial. Une telle convergence s'observera du reste vraisemblablement sur les marchés utilisant des mécanismes de projet, même hors du système Kyoto : il suffit qu'un même projet réducteur d'émissions puisse être reconnu dans deux marchés différents pour que les acteurs économiques fassent les arbitrages pertinents.
…continuez
Dans l'optique des futurs accords sur le climat qui seront en particulier négociés à Copenhague, trois voies d'amélioration peuvent être tracées.
La première est de simplifier et rendre compréhensible par le plus grand nombre d'acteurs économiques les règles des mécanismes, en particulier sur les secteurs pour lesquels ces outils constituent aujourd'hui le seul outil. L'introduction de scénarios de référence et de méthodes de démonstration du caractère additionnel standardisés – par exemple avec des facteurs d'émission de référence ou des listes de technologies positives ou négatives - pourrait être utile. La mise en place de mécanismes programmatiques permettant de créditer des programmes d'activités plutôt que des projets individuels va dans le même sens et permettra de réduire de façon drastique les coûts de transaction en mutualisant les coûts fixes. Cela contribuera à « démocratiser » les mécanismes de projet, et pourrait en particulier bénéficier aux collectivités territoriales qui mettraient en œuvre de tels projets dans les pays en développement ou les pays développés.
La deuxième est de favoriser l'accès des pays les moins avancés aux mécanismes de projet, soit via un mécanisme financier ou d'appui institutionnel dédié, soit en dirigeant de façon préférentielle la demande sur les projets mis en œuvre dans les pays les moins avancés. Ces deux premières voies sont en partie suivies par l'Union européenne, qui souhaite restreindre la demande en crédits émanant du système européen d'échange de quotas par des critères qualitatifs sur les projets et sur les pays hôtes.
La troisième voie - et certainement la plus essentielle - est de s'intéresser à la MOC et plus largement aux systèmes de projet sous contrainte globale. Les discussions internationales tournent en effet aujourd'hui très largement autour des voies d'amélioration du MDP. C'est une erreur stratégique. L'objectif des négociations est en effet d'encourager le plus grand nombre de pays à accepter des engagements quantifiés de réductions d'émissions : dès lors, l'importance du MDP ira décroissant dans le temps, et celle de la MOC ou des mécanismes assimilés croissant. La mise en place d'un système de MOC suffisamment incitatif pourrait par ailleurs contribuer à faire adhérer les pays émergents au futur accord international.
Benoît Leguet
Directeur de la Mission climat de la Caisse des Dépôts
Vice-président du Comité de supervision de la mise en œuvre conjointe
Co-auteur, avec Valentin Bellassen, de « Comprendre la compensation carbone », Pearson, 2008