Le Ministre français de l'agriculture avait, toujours à l'occasion de cette visite, souligné qu'il fallait être performant en terme de CO2 évité, au litre d'agrocarburant utilisé en substitution d'essence ou de diesel, de biodiversité et d'impacts sur l'usage des terres et la déforestation. Une expertise portant sur le bilan écologique et énergétique des agrocarburants de première génération (issus de cultures destinées à l'alimentation) confiée à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) devrait d'ailleurs bientôt être rendue public.
Plébiscités par les pouvoirs publics pour se substituer à l'utilisation du pétrole comme carburant, les agrocarburants font l'objet d'une politique de soutien active en France, en Europe et dans le monde. L'objectif consiste à sécuriser les approvisionnements énergétiques des pays, réduire les émissions de gaz à effet de serre et fournir une nouvelle source de revenus aux agriculteurs. Ils sont donc de plus en plus contestés causant hausse des prix des denrées alimentaires, perte de biodiversité, augmentation de la pression polluante sur l'environnement, etc. Ces carburants d'origine végétale ont en effet été récemment mis en cause dans la flambée des prix alimentaires, ce qui a amené certains pays européens à reconsidérer leur politique sur ce sujet. Le ministre de l'Environnement de l'Allemagne, Sigmar Gabriel a annoncé le 4 avril que le gouvernement abandonnait son projet baptisé E 10 qui prévoyait d'introduire 10 % d'éthanol d'ici 2009 dans l'essence des véhicules, étape intermédiaire pour atteindre 20 % en 2020.
Mi-avril, après l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et la Banque mondiale, cela a été au tour de l'Agence Européenne de l'Environnement (AEE) d'émettre des doutes quant à l'intérêt des agrocarburants. Le comité scientifique de l'AEE recommande en effet la réalisation d'une nouvelle étude scientifique sur les risques environnementaux et les avantages de ces carburants fabriqués à partir de blé, betterave, maïs… En attendant les résultats de cette étude, l'agence a conseillé de suspendre l'objectif européen d'incorporation fixé à 10% à l'horizon 2020 dans le paquet climat-énergie.
La France tiraillée
En France, selon une dépêche AFP, Jean-Louis Borloo, ministre de l'Ecologie, a annoncé mardi à Rome, en marge du Forum international de l'énergie, qui a réuni des pays producteurs et consommateurs de pétrole, que la France voulait faire une « pause » dans les agrocarburants de première génération, fabriqués à partir de plantes vivrières. Le ministre a précisé qu'il souhaitait que l'on amplifie la recherche sur la deuxième génération, pour que ces biocarburants ne soient en aucun cas en concurrence avec des sites alimentaires. La position de la France est claire : cap sur la deuxième génération de biocarburants et pause sur de nouvelles capacités de production d'origine agricole, a déclaré le ministre français. Les investissements déjà lancés pour produire des biocarburants de 1ère génération seront toutefois honorés, a-t-il précisé.
Une déclaration qui a immédiatement réjoui l'organisation Greenpeace : jusqu'à présent, la politique française ultra-volontariste de développement des agrocarburants s'est davantage apparentée à un cadeau à la filière agro-industrielle qu'à une politique efficace et sincère de lutte contre le réchauffement climatique. Il est important que la prochaine loi Grenelle reflète cette inflexion politique, et que les références aux objectifs irréalistes du plan agrocarburant et de la loi de programmation agricole soient abandonnées, commente Jérôme Frignet, chargé de campagne forêts de Greenpeace France. Dans la perspective de la prochaine présidence française de l'Union européenne, Greenpeace demande en outre à la France de peser pour un abandon de l'objectif européen de 10% d'agrocarburant à horizon 2020, et l'adoption de critères sociaux et environnementaux stricts de durabilité pour les agrocarburants autorisés en Europe.
Mais le lendemain, le secrétaire d'Etat chargé des Transports, Dominique Bussereau, modère la déclaration du Ministre de l'écologie : il ne faut pas interrompre le mouvement qui est en cours sur les biocarburants. Il faut continuer l'action pour les agrocarburants, mais sans engager d'usine nouvelle en France, précise-t-il sur RMC et BFM TV tout en rappelant qu'une vingtaine d'usines de production étaient déjà prévues en France.
Anne Souyris, porte-parole des Verts, dénonce quant à elle que les intérêts des industriels passent avant l'intérêt général. Ce n'est pas en réfléchissant sur les agrocarburants de 2e génération que nous stopperons la famine. Nous devons revoir immédiatement au niveau français et européen nos objectifs agricoles et opérer un tournant révolutionnaire en la matière, estime-t-elle.
La filière bioéthanol assure pour sa part que le rapport qui vient d'être remis au ministre de l'Ecologie par le Comité Opérationnel sur les Energies Renouvelables dans le cadre du Grenelle de l'Environnement confirme la place des biocarburants de première génération dans le plan de développement des énergies renouvelables. Il souligne également que sans les biocarburants, la France ne sera pas en mesure de respecter ses engagements en termes d'énergies renouvelables tels que fixé par le Grenelle de l'Environnement. Les représentants de producteurs considèrent par ailleurs que le modèle français et européen de développement du bioéthanol n'a pas d'impact sur la sécurité alimentaire mondiale et qu'aucune pause ne peut être justifiée à ce titre. Ce modèle est fondé sur des objectifs raisonnables, des critères de durabilité et une diversification des matières premières, souligne la filière dans un communiqué tout en précisant qu'en France, l'objectif national fixé pour 2010 nécessite à peine 3 % des surfaces agricoles cultivées en céréales et en betteraves.
La bataille des déclarations et communiqués semble bien partie pour perdurer, au moins jusqu'à la publication de la méthodologie destinée à calculer l'impact environnemental des agrocarburants…