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Valoriser les coproduits de la méthanisation (1/4) : faire rimer industrialisation et diversification

Optimiser le procédé de méthanisation relèverait-il d'un vœu pieu ? Léo Benichou, responsable R&D de la direction biométhane de GRDF, dresse le portrait d'une industrie qui tend vers une diversification technologique et économique de ses coproduits.

TECHNIQUE  |  Interview  |  Energie  |  
   
Valoriser les coproduits de la méthanisation (1/4) : faire rimer industrialisation et diversification
Léo Benichou
Responsable R&D biométhane, GRDF
   

Environnement & Technique : Depuis le 1er janvier 2024, les collectivités sont tenues de collecter les biodéchets des particuliers en application de la loi Agec. Ces déchets servent notamment à produire du biométhane. Cela va-t-il changer la face de la filière ?

Léo Benichou : Pour commencer, de gros volumes de biodéchets industriels sont déjà méthanisés. Quant aux biodéchets urbains, il faut rappeler qu'en janvier, seulement une commune sur trois était prête pour les collecter à la source. De plus, les flux peuvent aussi bien finir en compostage qu'en méthanisation. Cela étant, les biodéchets pourraient représenter 10 térawattheures (TWh) de l'énergie produite par la méthanisation d'ici à 2050.

Il n'en demeure pas moins certains problèmes, comme celui des inertes (plastiques ou métaux) issus d'un mauvais tri en amont. Il faut investir, pour les collectivités dans la sensibilisation au geste de tri et dans des contenants de précollecte méthanisables ; pour les agriculteurs-méthaniseurs, dans des déconditionneurs afin d'améliorer la qualité des soupes de biodéchets.

Mais en ce qui concerne l'alimentation des méthaniseurs, beaucoup de choses relèvent encore d'une sorte de bon sens paysan. C'est notamment ce qui ressort des pratiques d'ensilage des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive), récoltées annuellement au printemps et qui servent à approvisionner les méthanisateurs tout au long de l'année. Le travail de thèse de Clément Van Vlierberghe, de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), a proposé des solutions pour préserver le pouvoir méthanogène dans les stockages de Cive en silos. Grâce notamment au préfanage ou au coensilage avec des menues pailles, afin de limiter la production de jus à la constitution du silo, ou à la gestion des couvertures et de la géométrie, pour limiter les pertes liées à l'oxygène.

E&T : Qu'en est-il des coproduits de la méthanisation comme le digestat : le bon sens paysan suffira-t-il à l'avenir ?

L.B. : Soyons d'accord, le simple retour au sol reste le destin le plus logique et raisonnable du digestat de méthanisation. D'autant qu'il permet d'éviter la fabrication d'engrais azotés minéraux, particulièrement nocifs pour le climat, mais représentant aujourd'hui 25 % des consommations d'énergie de l'agriculture. Mais ce que l'on constate de plus en plus, au fur et à mesure de l'industrialisation de la filière, c'est que malgré son statut de déchet, le digestat peut constituer un produit très précieux.

Le fractionnement ou la séparation de phases en post-traitement peuvent amener de nouveaux cobénéfices. La phase solide est particulièrement riche en carbone et se minéralise plus durablement dans le sol. La phase liquide, contenant plus d'azote, est un meilleur fertilisant. Tout cela conduit également à optimiser les pratiques d'épandage à l'avenir, à faciliter le transport du digestat (en réduisant son volume) et à amener l'azote qu'il contient au plus près de la racine. Certaines exploitations testent aujourd'hui la distribution locale à l'aide de « digestoduc » pour réduire le recours à des véhicules entre le stockage et les parcelles.

Ces post-traitements facilitent aussi la valorisation du digestat, en réduisant les besoins de stockage pour les exploitants. Par exemple, la fabrication du sulfate d'ammonium [(NH₄)₂SO₄] par concentration du digestat liquide fournit un produit fertilisant normé et commercialisable. Le seul inconvénient est le besoin en chaleur. La complémentarité de l'injection avec la cogénération pourrait être un atout de ce point de vue.

E&T : Vous citez la cogénération, qui représente pour beaucoup le passé de la filière en comparaison de l'injection. Aurait-elle encore un avenir ?

L.B. : À elle seule, la consommation électrique de l'épuration représente la moitié de la facture d'électricité pour une unité en injection. Produire et autoconsommer de l'électricité par cogénération du biogaz est une piste intéressante pour certaines unités de grande capacité : dans la logique d'autoconsommation, on s'affranchit du risque prix sur l'électricité et on maîtrise les coûts. La société CH4Process propose, par exemple, d'utiliser une cogénération au « gaz pauvre » qui évite d'épurer la totalité du biogaz en biométhane et couvre de manière étanche une cuve de stockage des digestats. Ainsi, on réduit drastiquement le besoin électrique de l'épuration, on récupère du biogaz sur les digestats et on autoproduit une partie de l'électricité en réduisant la facture électrique. À une échelle plus importante, la valorisation combinée en injection et en cogénération nécessiterait cependant des adaptations du cadre réglementaire.

E&T : Pour continuer sur le thème de la maîtrise, la méthanisation produit une quantité non négligeable de CO2 dit biogénique. Qu'observez-vous concernant sa valorisation à l'heure actuelle ?

L.B. : Les enjeux sont multiples avec ce CO2, qui sert de molécule de base dans une myriade de procédés agronomiques et industriels. D'abord, il alimente le secteur de l'agroalimentaire à raison d'un million de tonnes par an, dont la moitié est captée pour la fertilisation des serres. Ensuite, le « bioCO2 » compense progressivement le CO2 produit jusqu'ici par d'autres procédés – comme dans l'usine de fabrication d'ammoniac (NH3) de Yara au Havre. Celle-ci va s'éloigner du reformage du gaz naturel pour utiliser du dihydrogène (H2) produit par électrolyse de l'eau. Or, elle fournissait jusqu'ici une partie du CO2 qu'elle dégageait à Air liquide, pour ses propres besoins industriels. Ce dernier va donc devoir s'approvisionner autrement et le « bioCO2 » issu de la méthanisation est un candidat de remplacement tout trouvé.

Aujourd'hui, le marché du CO2 en tant que matière représente un million de tonnes par an en France. Il concerne essentiellement l'industrie agroalimentaire (la fertilisation des serres, mais aussi les boissons gazeuses ou le conditionnement des aliments). Une bonne partie du marché est alimenté par les usines de fabrication d'ammoniac (NH3) ou de dihydrogène (H2), qui produisent indirectement du CO2 par le reformage du gaz naturel. Or, l'épisode de prix élevés du gaz naturel qu'on a connu en 2022 a fortement perturbé la chaîne d'approvisionnement des distributeurs historiques de gaz en bouteille et certains clients n'ont pas pu être livrés. Là encore, le « bioCO2 » issu de la méthanisation est un candidat de remplacement tout trouvé et les acteurs de la filière sont en train de se structurer pour mutualiser les moyens de logistique et de contrôle de la qualité alimentaire. La plateforme « MD CO2 » dans le Grand Est alimentera notamment en bioCO2 de méthanisation les boissons des Jeux olympiques de Paris cet été.

Ce coproduit sera aussi utile pour produire des plastiques bio-sourcés ou des carburants de synthèse. L'Agence de la transition énergétique (Ademe) estime que les besoins en bioCO2 nécessaires à la production de carburants alternatifs pourraient atteindre 18 millions de tonnes par an en 2050. Par ailleurs, il faudra, à terme, compenser l'intégralité des énormes usages non énergétiques que l'on tire aujourd'hui du pétrole.

E&T : Comment la filière parvient-elle à se saisir de ces opportunités ?

L.B. : La filière développe de plus en plus de techniques pour capturer cette ressource précieuse. Par exemple, à travers la liquéfaction du bioCO2 émis par les méthaniseurs. Cela permet de capter le méthane résiduel et de le purifier à une certaine température, plutôt que de le laisser filer dans l'atmosphère et alourdir le bilan carbone. Cette capture pourrait diviser par deux l'empreinte carbone du biométhane injecté dans les réseaux.

E&T : Que percevez-vous de l'avancée de technologies comme la méthanation qui pourrait exploiter cette ressource ?

L.B. : La méthanation biologique peut, en effet, être la voie pour valoriser le bioCO2 et produire davantage de biométhane en synergie avec la méthanisation. Les briques technologiques sont prêtes, mais il manque un cadre solide de financement à l'industrialisation de cette filière. La technologie fonctionne pourtant à l'échelle industrielle, en atteste la mise en service à Glansager au Danemark d'une unité de 500 normo-mètres cubes par heure (Nm3/h), fin 2023. Nous avons donc besoin d'une ambition politique et d'un mécanisme de soutien pour faire émerger cette filière en France.

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Propos recueillis par Guénolé Boillot et Félix Gouty

Réactions1 réaction à cet article

Ou comment faire un article monologue d'un intervenant juge et partie ?
Nous vous invitons au questionnement vis à vis de la méthanisation et consoeurs

Daniel | 29 avril 2024 à 21h34 Signaler un contenu inapproprié

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