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Les inspecteurs de l'environnement peuvent librement inspecter des terrains agricoles nus, même clos

Par une décision du 16 janvier 2024, la Cour de cassation a estimé que, bien que clos, un terrain rural pouvait être visité par les inspecteurs de l'environnement sans qu'ils soient tenus d'aviser au préalable le procureur de la République.

DROIT  |  Commentaire  |  Gouvernance  |  
   
Les inspecteurs de l'environnement peuvent librement inspecter des terrains agricoles nus, même clos
Jacques-Henri Robert
Professeur émérite de l'université Paris II
   

Par une décision du 16 janvier 2024, la Cour de cassation a estimé que, bien que clos, un terrain rural pouvait être visité par les inspecteurs de l'environnement sans qu'ils soient tenus d'aviser au préalable le procureur de la République. Le prévenu, interrogé par les fonctionnaires qui ne l'ont pas avisé du droit de se taire ni du contenu des griefs articulé, en violation de l'article L. 172-8 du code de l'environnement, est irrecevable à alléguer la nullité de son audition s'il admet que les procès-verbaux ont fidèlement reproduit ses réponses.

Des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) étaient entrés dans un pacage clos et avaient constaté qu'un « girobroyage », probablement de broussailles, avait tué des tortues d'une espèce protégée. L'auteur de cette destruction, prévenu, excipa de la nullité de la procédure pour deux raisons : d'une part, la visite avait été exécutée sans son assentiment ni information préalable du procureur de la République, en violation de l'article L. 172-5, 1° du code de l'environnement ; d'autre part, les fonctionnaires l'avaient soumis à un interrogatoire conduit en violation de l'article L. 172-8, al. 2 du même code.  La cour d'appel ayant rejeté ces deux exceptions, il forma un pourvoi que la chambre criminelle rejeta, mais non sans avoir ressenti des scrupules, car elle rendit son arrêt en formation plénière de section.

I. La régularité de la visite d'un lieu clos

L'article L. 172-5, 1° réglemente les visites que, dans un but répressif, les fonctionnaires chargés de constater les infractions au code de l'environnement effectuent dans les lieux qu'il énumère ainsi : les « établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation. Ils ne peuvent pénétrer dans ces lieux avant 6 heures et après 21 heures. En dehors de ces heures, ils y accèdent lorsque les locaux sont ouverts au public ou lorsqu'une des activités prévues ci-dessus est en cours ». Mais ils doivent préalablement informer le procureur de la République de leur projet de visite et ce magistrat peut s'y opposer.

Le texte ne dit rien des terrains non bâtis mais clos, tel que celui qui fut inspecté dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt rendu par la chambre criminelle le 16 janvier 2024. Le silence de la loi peut inspirer deux interprétations opposées, fondées sur un argument  a contrario : ou bien ces terrains sont ouverts aux visites des inspecteurs, même sans avis préalable délivré au procureur parce que leur intrusion est moins attentatoire au droit de propriété que celle qui intervient dans les « établissements, locaux professionnels et installations », expressions qui désignent des bâtiments ou des installations fixes ; ou bien au contraire, l'accès est tout simplement interdit aux inspecteurs s'il ne s'y exerce pas l'une des activités énumérées au même texte (activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation) parce qu'à défaut d'une telle activité, le code de l'environnement ne s'applique pas et que, par conséquent, la visite des fonctionnaires constituerait un excès de pouvoir.

À l'appui de cette seconde interprétation, on peut faire valoir le texte applicable aux visites à finalité purement administrative, prévu par l'article L. 171-1, I, 2° du code de l'environnement : les fonctionnaires ont accès « aux autres lieux, notamment aux enclos, à tout moment, où s'exercent ou sont susceptibles de s'exercer des activités soumises aux dispositions du présent code » ; postérieurement aux faits de l'espèce, les mots « notamment aux enclos » ont été ajoutés par une loi du 2 février 2023[1] qui, corrélativement, a retranché les mots « aux espaces clos » qui, dans l'énumération du 1° du même article L. 171-1, 1° visait les  « locaux accueillant des installations, des ouvrages, des travaux, des aménagements, des opérations, des objets, des dispositifs et des activités soumis aux dispositions du présent code ». La différence entre les visites administratives du 1° et du 2° tient en ceci que, selon l'article L. 171-2, l'opposition du maître des lieux ne peut être vaincue que par une ordonnance du juge des libertés et de l'application des peines s'il s'agit d'une visite des « locaux », et cette autorisation n'est pas, au contraire, requise si les investigations sont conduites dans un « enclos ». Encore faut-il que son utilisation soit une des activités « soumises aux dispositions » du code de l'environnement, selon la lettre de l'article L. 171, I, 2°.

La Cour de cassation était donc placée devant une alternative dont elle ne trouvait pas la solution dans la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 172-5 du code de l'environnement conforme à la Constitution[2].  Le prévenu soutint, par une interprétation extensive du 1° de l'article L. 172-5, que l'avis donné à ce magistrat est requis pour tout endroit professionnel, ce qui comprend évidemment une exploitation d'élevage agricole. La cour d'appel et la chambre criminelle jugent l'exception mal fondée en consacrant la première interprétation a contrario exposée ci-dessus : la visite de tout espace qui n'est pas l'un des lieux bâtis décrits par l'article L. 172-5, 1° échappe aux garanties organisées par ce texte, et il peut donc être librement, et sans formalité, examiné par les fonctionnaires.

II. L'interrogatoire du prévenu par les fonctionnaires

Le prévenu soutenait encore que son audition, à laquelle avait procédé les fonctionnaires, était nulle comme contraire à l'article L. 172-8, alinéa 2 du code de l'environnement, qui dispose que « conformément à l'article 28 du code de procédure pénale, l'article 61-1 du même code est applicable lorsqu'il est procédé à l'audition d'une personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Cet article 61-1 décrit les garanties offertes aux justiciables lors d'une procédure dénommée audition libre : la personne interrogée doit notamment être avertie des griefs articulés contre elle, avisée de son droit de se taire et de se retirer, de la possibilité d'être assistée par un conseil si elle encourt, comme en l'espèce, une peine d'emprisonnement[3]. Aucune de ces formalités n'avait été observée et, contredisant l'affirmation de la cour d'appel, la chambre criminelle concède que l'audition du prévenu violait la loi.

Elle rejeta néanmoins l'exception de nullité en application de l'article 802 du code de procédure pénale selon lequel « en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », disposition qu'on exprime par la brève maxime « Pas de nullité sans grief », applicable quand la formalité omise ou irrégulièrement exécutée a pour objet la protection des intérêts privés. Et le fait d'avoir été poursuivi et condamné à la suite de la violation de la loi ne constitue pas, à lui seul, le grief, lequel consiste dans l'atteinte aux droits de la défense[4]. Or, en l'espèce, le prévenu avait eu l'imprudence d'admettre la fidélité de la transcription de ses propos dans les procès-verbaux des fonctionnaires, rédigés à la suite de son audition et il subit une lourde condamnation : deux mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et 35 000 euros d'amende. Si l'annonce de cette décision était largement répandue, elle fournirait un aliment supplémentaire aux protestations des agriculteurs contre l'excès de normes.


[1] L. n° 2023-54, 2 févr. 2023 : JO 3 févr., visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée

[2] Cons. const., 13 avr. 2023, n° 2023-1044 QPC, Dr. pén. 2023, comm. 106, note Robert J.-H. ; Dr. pén. 2023, chron. 10, n° 11, Brenaut M.

[3] C. envir., art. L. 415-3, 1° : trois ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende

[4] Cass. crim., 7 sept. 2021, n° 20-87.191, JCP G 2021, 1161, note Matsopoulou H. ; Procédures, 2021, comm. 299, note Chavent-Leclère A.-S.

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