Présidente du WWF France
Isabelle Autissier : Il y a eu les discussions autour du Grenelle 2, la marée noire du Golfe du Mexique, bien que le WWF France ne soit pas en première ligne sur ce dossier. Et tout ce qui tourne autour de l'année de la biodiversité, avec la création de l'IPBES (Intergovernmental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). Et il y a le dossier de l'eau, grande oubliée du Grenelle, qui est lié à l'agriculture, sur lequel je rencontre beaucoup d'acteurs. Il y a longtemps que le WWF travaille sur la qualité de l'eau, sur les raisons des pollutions, en particulier la question agricole, qui n'a pas beaucoup avancé. Or c'est une des causes majeures de la pollution des eaux. Il se trouve que la France est en train d'affiner ses arguments pour la renégociation de la PAC. C'est l'occasion de pousser le plus fort possible pour que soit reconnue à un certain type d'agriculture la qualité de l'environnement, de la biodiversité et de la nature et que ce soit cette agriculture là qu'on favorise au détriment de celle qui consomme beaucoup de polluants et qui ne donne pas une nourriture extraordinaire. Malheureusement ce n'est pas si simple que ça. On en est encore à subventionner des exploitations agricoles qui utilisent beaucoup d'intrants et qui sont très mécanisées, par rapport à des agricultures, biologiques ou durables – qui emploient de la main d'œuvre et permettent aux gens de vivre correctement. Même dans la logique actuelle du marché, ces agricultures fonctionnent. Du point de vue des comptes, il est évident que même l'agriculture productiviste a des coûts lourds. Le WWF a d'ailleurs demandé un rapport de la Cour des comptes sur la responsabilité des pouvoirs publics et le coût supporté par les Français depuis 1980 pour ces aides dommageables à l'environnement.
AE : La trame verte a été remise en question par la commission mixte paritaire du Grenelle II. Comment réagissez-vous à cette décision ?
Isabelle Autissier : On est extrêmement déçus ! On avait déjà vigoureusement protesté sur le fait que la trame verte n'était pas opposable localement ou régionalement. Et maintenant voilà qu'elle n'est pas opposable nationalement ! En résumé, on vous demande d'être gentil avec la nature, et puis s'il y a une autoroute à faire passer, excusez-moi M'sieursdames ! En gros, on n'a aucune compensation à envisager, on n'a pas à se poser la question de savoir s'il faut aménager des passerelles pour que les animaux puissent migrer, donc on fait comme d'habitude, et ce n'est pas la peine d'avoir inventé le concept de trame verte et bleue si c'est pour ne rien en faire. A partir du moment où cette mesure n'est plus obligatoire, elle sera laissée au bon vouloir des acteurs locaux. Or l'érosion de la biodiversité devait être stoppée en 2010, selon l'engagement de la communauté internationale, ce qui est loin d'être le cas. D'un côté on voit que les choses se dégradent, de l'autre on invente des outils pour ne pas les utiliser !
AE : Quels sont les prochains grands rendez-vous environnementaux de l'année ?
IA : Il semblerait que la Plate-forme scientifique intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) soit sur les rails, ce qui est une bonne nouvelle, si cet organisme acquiert la même puissance que celui sur le climat. Reste à voir jusqu'où la conférence de Nagoya va pouvoir aller et quelles formes de convergence il va pouvoir y avoir entre la thématique biodiversité et la thématique climat. Par exemple, sur l'énorme influence du climat sur la biodiversité, et donc aussi sur les problèmes de nutrition, de maladie, sur les problèmes de culture. Côté climat, la négociation a un peu avancé à Bonn, sans doute en raison de la qualité des gens qui étaient autour de la table. Mais, concrètement, il ne se passe pas grand chose. Or actuellement on voit bien que l'objectif de limiter le réchauffement à 2°C ne va pas être atteint, que plus on attend, plus les choses vont être problématiques.
AE : Après la marée noire du Golfe du Mexique, pensez-vous que les Etats-Unis vont s'engager sur la voie d'une transition énergétique ?
IA : Il est vrai que malheureusement, on n'avance que par crises. Barack Obama a d'ailleurs annoncé qu'il voulait engager son pays dans la réduction des fossiles. Mais tandis que s'écoulent 5 à 8 millions de litres de pétrole par jour, on préfère parler des états d'âme des footballeurs. Je ne voudrais pas qu'on se retrouve avec une gestion de post crise, où on va déverser des milliards de dollars sur la tête des habitants de Floride et du Golfe du Mexique pour essayer de leur fournir des moyens de vivre, et qu'on s'en tire comme ça, sans remettre en cause le forage profond. Or il y a encore beaucoup de projets de forages profonds, le problème, c'est qu'en face on a des gens qui font un lobbying extrêmement puissant pour faire pression à continuer à consommer du pétrole. Je crains que cette marée noire ne suffise pas.
AE : Mais alors, qu'est-ce qui pourrait suffire ?
IA : Je ne sais pas ce qui pourrait suffire. Ce que je sais, c'est que c'est un combat non seulement sans relâche, mais à tous les niveaux. N'attendons pas que de belles décisions nous tombent sur la tête et qu'il y ait des sauveurs de la planète qui se manifestent. Si nous ne réclamons pas à corps et à cri les décisions qui s'imposent, elles ne se prendront pas, car de l'autre côté, il y a des puissances financières, des puissances économiques qui vont continuer à pousser à l'immobilisme ou au laisser-faire. Des associations, des partis, des individus et pourquoi pas des entreprises peuvent mener des combats. L'expérience nous enseigne que, malgré des événements tels que la faillite du système financier, il ne s'est rien passé, alors qu'il y avait un boulevard pour encadrer les banques.
AE – Est-ce à dire qu'on est dans une sorte de déni ?
IA : C'est vrai qu'il y a d'abord une réaction de peur face à des problèmes monstrueusement compliqués sur lesquels les gens n'ont pas de prise. C'est pourquoi les « sceptiques » du type Allègre sont bien accueillis. Quand quelqu'un vous dit « dormez, braves gens », ça a un côté rassurant. Mais il y a aussi le fait que nous qui sonnons l'alerte, nous n'expliquons pas suffisamment qu'on pourrait être plus heureux en changeant notre rapport à la nature. Car on voit bien que cette société du chacun pour soi ne rend pas plus heureux. C'est comme partager un voilier : au lieu de démolir les côtes pour remplir les ports de plaisance de bateaux qui ne servent que 15 jours par an, mieux vaut inventer une autre façon de faire, pour continuer à naviguer, ensemble.