Directeur du programme climat à l'Iddri
Actu-environnement : Quelle est la part des investissements verts dans la "pacte de croissance" adopté par le Conseil européen des 28 et 29 juin ?
Emmanuel Guérin : A la lecture du texte (1) , on ne peut pas dire que c'est gagné, mais ce n'est pas perdu pour autant. Ce pacte reste à un niveau de généralité élevé. Si investissements verts il y a, ils vont passer par les 10 milliards de recapitalisation de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui doivent entraîner 60 milliards de capacité de prêts supplémentaires. Cela devrait permettre de libérer jusqu'à 180 milliards d'euros d'investissements supplémentaires dans l'Union européenne, par un effet de levier sur les fonds privés. La BEI affiche des priorités sectorielles pour ces investissements, dont la rénovation du bâtiment et la production d'énergie propre. Encore faut-il préciser ce qu'il va y avoir derrière. Il importe qu'une partie de cet argent serve à financer les interconnections, notamment la smart grid (2) , base de l'infrastructure électrique de l'avenir : ce serait un signal fort.
Il importe aussi que ce plan serve à mobiliser l'investissement privé qui, aujourd'hui, ne sait pas où s'orienter en Europe. Un gros effort de désendettement reste à faire certes, alors que beaucoup d'épargne en Europe reste disponible, mais ses détenteurs ne savent pas où investir en raison des incertitudes macro-économiques. C'est une véritable trappe à liquidités. Il faut donc s'assurer de mettre en place les cadres régulateurs pour que cet investissement privé puisse être orienté vers des investissements productifs. Derrière ces questions financières, il y a des enjeux de gouvernance. C'est le cas du secteur de la rénovation du bâtiment, qui ne peut se passer de régulations institutionnelles.
Par année, le coût additionnel d'investissement pour la transition énergétique s'élèverait au total à environ 2 % du PIB (dont 0,8 % pour décarboner l'offre énergétique, 1,2 % pour réaliser des économies d'énergie). Au total, et contrairement à beaucoup d'idées reçues, les investissements dans l'efficacité énergétique des bâtiments, dans les énergies renouvelables, dans la construction des réseaux de transport et d'électricité ont la taille nécessaire pour avoir un impact sur la croissance. Ils couvrent tous les secteurs et sont de nature à transformer les structures de secteurs économiques et donc être une source de gains de productivité : ce dont l'économie européenne a le plus grand besoin.
AE : Comment orienter les finances vers les investissements verts ?
EG : Les instruments financiers pour soutenir ces investissements sont aujourd'hui bien identifiés. Tous n'impliquent pas une dépense publique, même s'il est important de rappeler qu'il y a une logique à s'endetter pour réaliser des investissements productifs, y compris – voire surtout – en période de crise. Ces instruments pourraient être mobilisés différemment en fonction des secteurs : prêts bonifiés de la Banque européenne d'investissement (BEI) aux banques commerciales pour l'efficacité énergétique dans les bâtiments ; émissions de project bonds et utilisation des fonds structurels pour la construction d'infrastructures énergétiques et de transport vertes ; garanties d'Etat pour les émissions d'obligations sur le marché secondaire pour les énergies renouvelables...
Il s'agit à la fois de mettre en œuvre les techniques d'orientation financière et de déployer un cadre de régulation qui stimule l'efficacité énergétique et la décarbonation. Sinon, on va dépenser cet argent en vain et recréer une bulle. En France, le grand élément régulateur est le plan de rénovation d'un million de logements, adossé à la nouvelle banque publique d'investissement. En Europe, c'est la directive efficacité énergétique. L'autre volet à renforcer, c'est un cadre régulateur plus cohérent sur la décarbonation, ce qui veut dire plusieurs choses. Au plan national, il serait intéressant de relancer la discussion sur la taxe carbone afin de déployer un signal prix dans l'ensemble de l'économie. Même chose au plan européen, où la vraie urgence est de commencer à discuter d'un objectif 2030 du marché carbone européen. Car le rendement des investissements verts dépend de l'action publique, elle seule est à même d'associer un signal prix au carbone.
AE : Quelles seraient les retombées positives d'une politique de relance « verte » ?
EG : L'idée est de faire des investissements qui assurent la productivité européenne de demain. Nous l'avons souligné dans notre étude, ces investissements seraient particulièrement profitables, notamment dans les pays périphériques comme le Portugal, l'Espagne, la Grèce où les factures énergétiques représentent une part considérable de leur déficit commercial. Il est frappant de voir à quel point les importations énergétiques ont joué un rôle dans la crise de ces pays. Investir dans l'efficacité énergétique et dans les ENR, c'est nettement créateur d'emplois. C'est aussi un nouveau modèle de compétitivité pour l'Europe en général, mais aussi pour sees membres en crise.
AE : Quels sont les obstacles, alors que la croissance verte n'a que des vertus ?
EG : Des problèmes de plusieurs natures. Quand on regarde le modèle européen futur, l'économie verte fait partie des orientations qui semblent incontournables, mais elle suscite une assez profonde ambivalence, car elle est devenue un fourre-tout, de l'extraction propre des gaz de schiste aux énergies renouvelables... Dès que les décideurs retrouvent une possibilité d'énergie bon marché, ils y retournent. Deuxièmement, la discussion sur la relance européenne ne doit pas occulter le fait qu'on est actuellement pris dans un dilemme du prisonnier sur les questions de politique climatique, dans un problème d'action collective : jusqu'à quel point l'Europe peut-elle avancer si cette vision n'est pas plus largement partagée ? Sur toute la partie efficacité énergétique, il peut y avoir une rationalité européenne, sur la partie décarbonation, c'est un problème international. Le troisième obstacle, c'est que c'est incroyablement compliqué de donner un prix au carbone. Dans toute transition, les forces conservatrices sont en embuscade. Pour l'Europe, il s'agit rien moins que de choisir un nouveau modèle de développement, et cela peut avoir un effet d'entraînement au niveau international.
AE : Comment fait l'Allemagne ?
EG : L'Allemagne possède sa banque d'investissement dédiée à la rénovation des bâtiments, la KfW, mais on ne peut pas dire que tout le monde joue le jeu de la transition énergétique allemande. Reste qu'en Allemagne, le maniement des tarifs régulés est bien plus adroit qu'en France, mais celle-ci demeure exposée à la concurrence internationale.
* Etude franco-allemande (3) menée par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) en partenariat avec DIW Berlin