Pendant six ans, les 9 000 habitants du quartier Saint-Louis, à Marseille, ont vécu sans savoir que les nappes phréatiques de leur territoire étaient polluées par du chrome hexavalent, également connu sous le nom de chrome VI. Contrairement au chrome III, abondement présent dans la croûte terrestre, le chrome VI provient généralement de rejets industriels. Il est classé comme agent cancérogène pour l'homme par inhalation. Par voie orale, il peut s'avérer toxique (1) pour l'estomac, le foie, les reins et les cellules sanguines.
Une pollution connue de longue date
La situation était pourtant connue des autorités depuis plusieurs années. La présence de chrome dans les eaux souterraines du quartier avait été signalée pour la première fois en septembre 2013 par les services d'assainissement locaux. À peine quelques mois plus tard, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) avait pu identifier la source de la pollution : la fuite d'une cuve de l'usine Protec Métaux d'Arenc, spécialisée dans les traitements de surface et la peinture pour l'aéronautique. L'entreprise avait été condamnée en 2014, et sommée de remplacer toutes les cuves enterrées par des installations extérieures.
À l'époque, le taux de chrome mesuré dans les eaux souterraines à 400 mètres de l'usine s'élevait à 127 mg/l, soit plus de mille fois la valeur limite de concentration autorisée dans les effluents de sortie des installations classées pour la protection de l'environnement (IPCE), fixée à 0,1 mg/l (2) . Alerté par la situation, le préfet avait appelé la mairie, en 2015, à mettre en place une restriction d'usage des eaux de puits. Restriction d'usage qui ne sera mise en place qu'en mars 2019, soit six ans après le premier signalement. Les habitants, pour leur part, n'ont appris l'existence de cette pollution qu'en novembre 2019, par le biais d'un courrier de la Dreal.
« Grande carence de la mairie »
Cette alerte tardive a provoqué la colère des riverains. Stéphane Coppey, président de France Nature Environnement Bouches-du-Rhône, dénonce la « grande carence » de la mairie, qui n'a pas su réagir assez vite aux multiples alertes de la Dreal et de la préfecture.
« Rien n'a été fait et on peut être inquiet, voire angoissé, sur la santé des habitants », renchérit le député écologiste François-Michel Lambert, alarmé à l'idée que les habitants du quartier Saint-Louis aient été laissés dans l'ignorance, et donc potentiellement exposés au chrome VI pendant six ans.
Des risques sanitaires encore flous
Interrogée par Actu-Environnement, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) indique que les risques sanitaires liés à l'exposition au chrome VI par des voies autres que l'inhalation ou l'ingestion (comme dans le cas de l'arrosage de légumes par de l'eau polluée) sont encore peu connus. À titre de comparaison, bien que les eaux souterraines ne soient pas destinées aux mêmes usages, l'agence précise, dans un avis de 2012, que la règlementation fixe actuellement à 50 μg/l la limite de qualité pour le chrome (III et VI confondus) dans l'eau potable.
Afin de faire la lumière sur les risques encourus par la population, le député François-Michel Lambert a déposé, mardi 18 février, une question écrite au ministre de la Santé Olivier Véran, lui demandant d'ordonner une enquête épidémiologique et toxicologique. « Cette enquête permettra de savoir quelles peuvent être les conséquences de cette pollution sur la population, de soigner les gens intoxiqués si nécessaire, et enfin d'enclencher des poursuites contre les responsables », précise-t-il.Le député envisage également de déposer une demande de mise sous tutelle de la ville de Marseille si d'autres « incuries quant à la protection des citoyens » venaient à se produire.