Alain Lambert (1) , président UMP du conseil général de l'Orne et de la Commission consultative des normes, et Jean-Claude Boulard (2) , maire socialiste du Mans, ont remis le 26 mars au Premier ministre le rapport de la mission (3) qui leur avait confiée en décembre dernier. Son objectif ? Alléger le stock de normes qui pèsent sur les collectivités locales.
Cette initiative faisait suite au premier comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap) réuni le 18 décembre dernier et à la création d'une structure de pilotage et de coordination de l'ensemble du chantier de la simplification normative au sein du secrétariat général du Gouvernement.
"Société paralysée par l'obsession de prévenir tous les aléas"
Les auteurs du rapport dénoncent le "passage progressif d'un Etat de droit à un état de paralysie par le droit". Situation qui exige "un choc de compétitivité juridique".
L'"incontinence normative" a même "contaminé les chemins de la connaissance en les normant par une loi comme celle de la bioéthique au risque de provoquer un retard dans la recherche génétique française", écrivent Alain Lambert et Jean-Claude Boulard. "L'épidémie a été relancée par le principe de précaution qui fonde une société peureuse, frileuse, paralysée par l'obsession de prévenir tous les aléas", ajoutent-ils.
L'examen du stock de normes a permis d'identifier des "centres de coûts" et des "centres de ralentissements" qui méritent signalement, indique le rapport. Parmi les premiers est pointée la législation sur le traitement des déchets. Au titre des seconds figurent la législation sur l'urbanisme et certaines dispositions de la loi Grenelle 2.
Droit à l'interprétation des normes
Les auteurs affirment tout d'abord "un droit à l'interprétation des normes" dans le but de faire "prévaloir l'esprit sur la lettre". Ainsi, dans le domaine des espèces protégées, "les règles interprétées trop rigoureusement permettent souvent, sous le couvert de la protection environnementale d'une espèce, de protéger une espèce qui ne l'est pas : les riverains hostiles au projet d'aménagement", relèvent non sans humour les auteurs. Alors qu'à partir d'une appréciation facilitatrice, "des mesures raisonnables de compensation peuvent sauver le projet". Et de citer l'exemple du scarabée Pique-Prune qui a retardé pendant dix ans le chantier de l'autoroute A28 ou des escargots de Quimper qui ont eu raison du centre de formation du Stade brestois, un chantier de 12 M€ pour lequel 40 entreprises avaient répondu aux appels d'offres.
De même, dans le cas des projets soumis au cas par cas à étude d'impact, l'autorité environnementale dispose d'un pouvoir d'appréciation lui permettant d'être plus ou moins facilitatrice d'un projet. Selon l'interprétation stricte ou facilitatrice retenue, "le sort réservé au projets sera différent", relèvent les auteurs.
Quant à l'autorité administrative la plus à même de jouer ce rôle d'interprète des normes, il s'agit selon eux des préfets de département. "La réforme ayant conduit à accroître les compétences des préfets de région a, de fait, renforcé le pouvoir de blocage normatif des directions régionales sous l'influence de leurs administrations", explique le rapport. Afin de "neutraliser un foyer d'interprétation rigide des normes", dont le rôle vient d'être consolidé par la circulaire du 11 février 2013, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard proposent de transférer la compétence d'interprétation des Dreal vers les directions départementales du territoire (DDT).
"Dans la même logique d'une appréciation des normes marquée par la proximité", le rapport propose que le préfet de département devienne l'autorité environnementale en lieu et place du préfet de région appuyé sur la Dreal.
"Nous avons (…) rencontré un intégrisme normatif dans le domaine de l'environnement qui n'est pas le fait de l'écologie politique, mais celui d'associations environnementalistes relayées par les Dreal qui mettent au service de l'interprétation rigoriste des normes la bureaucratie", dénoncent les auteurs du rapport.
"Ouvrez les fenêtres"
Le rapport préconise également l'abrogation pure et simple d'un certain nombre de normes. Parmi celles-ci les textes d'application de la loi du 12 juillet 2010 qui imposent de surveiller la qualité de l'air intérieur dans certains établissements du public comme les écoles ou les centres… aérés. L'alternative de bon sens selon les auteurs ? Aérer régulièrement les locaux en ouvrant les fenêtres.
De même, proposent-ils d'abroger les contraintes antisismiques là où la terre n'a jamais tremblé : le surcoût estimé est de l'ordre de 1 à 5% suivant le type d'édifice selon les chiffres avancés par le ministère de l'Ecologie.
Les auteurs du rapport entendent également remettre en discussion les conditions d'application de certaines normes "incontestables dans leur principe, mais génératrices de coûts et de lenteur". Parmi celles-ci la loi Grenelle 2. "La multiplication des schémas directeurs, des trames vertes et bleues, des études d'impact, des consultations, des concertations, des expertises donnent le sentiment de l'ouverture d'un temps des lenteurs et des blocages", estiment les deux élus qui veulent "sauver Grenelle 2 de ses excès de procédure".
Ainsi, en ce qui concerne les trames vertes et bleues, "il faut veiller à ce que le nouveau dispositif ne soit pas porteur d'un retour au centralisme normatif", pointe le rapport qui dénonce une fois de plus l'effacement de l'échelon départemental.
De même, le rapport préconise-t-il un réexamen de la réglementation "légionelles", qui s'applique indistinctement à tous les établissements recevant du public et se révèle très coûteuse, alors que la dangerosité est différente selon les souches en cause et selon les publics concernés.
Les deux rapporteurs souhaitent également "mettre de l'ordre au pays des schémas et des zonages", après avoir constaté l'existence de 67 schémas différents. "Les schémas se multiplient et se superposent sur un même domaine (national - régional - départemental - local). Il serait utile de mettre ces schémas en cohérence, d'en freiner le développement", estiment-ils. Quant à la conception d'un espace éclaté en zones, elle "n'est pas en cohérence avec l'unité profonde des territoires, la mobilité des hommes et la mise en réseau des acteurs", écrivent M. Lambert et Boulard.
Surtransposition des directives européennes
L'Europe est souvent accusée d'être une source majeure d'accumulation des normes. C'est en partie vrai, estiment les rapporteurs, car la France a tendance à en rajouter en "surtransposant". Et de citer les textes de transposition de la directive "nitrates". "Pour maîtriser toutes ces règles, il faut au moins sortir d'une école nationale de chimie", s'indignent les deux auteurs qui préconisent plutôt "des cahiers des charges établis avec les professionnels, à partir de bonnes pratiques dégagées par eux".
Enfin, ils dénoncent les risques de dérapages face à des normes "saturées de qualité à l'origine". Ainsi, les ZNIEFF, parties d'un recensement des espaces naturels remarquables lancé en 1982, se voient revêtues d'une portée juridique par une circulaire de 1991 puis faire l'objet d'un inventaire par le Muséum d'histoire naturelle. Même si un arrêt du Conseil d'Etat a ensuite dénié toute portée juridique à ces zones, elles sont cependant considérées "comme un indice de la valeur d'espace naturel de la zone dont il faut tenir compte dans la conception des aménagements", déplore le rapport. D'où la proposition d'une cellule de veille au sein de la Commission consultative d'évaluation des normes ayant pour rôle d'alerter sur les dérapages possibles.
Le Gouvernement se dit résolu à agir pour simplifier les normes. "Dans la crise que nous traversons, il s'agit d'un enjeu économique, budgétaire, mais aussi démocratique", estime Jean-Marc Ayrault. Reste toutefois à savoir ce qu'il retiendra du rapport. Une première réponse sera donnée lors du prochain Cimap le 2 avril prochain à l'issue duquel il annoncera les décisions qu'il entend mettre en œuvre pour alléger le droit français.