Ce jeudi 10 février, à l'occasion d'un déplacement à Belfort (Territoire de Belfort), sur le site de fabrication des turbines Arabelle qui équipent les centrales nucléaires, Emmanuel Macron a annoncé le lancement de la construction de six réacteurs EPR d'ici à 2035. Huit supplémentaires pourraient être construits d'ici à 2050. Cette stratégie est complétée par la prolongation du parc existant et le soutien aux réacteurs modulaires.
Les partisans de l'atome saluent l'annonce présidentielle. « La relance d'un programme nucléaire contribue à la montée en puissance de l'électricité dans le mix énergétique », explique Équilibre des énergies, estimant que « l'électrification de notre économie est essentielle pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 ». À l'opposé, pour le Réseau Action Climat, « relancer une filière nucléaire est une option coûteuse et qui ne répond pas à l'urgence d'avoir, dès la prochaine décennie, un parc électrique bas carbone et sans défaillance ».
Des objectifs ENR à l'horizon 2050
Le discours du président de la République a été l'occasion de présenter sa politique énergétique à l'horizon 2050. La cible : atteindre l'objectif de neutralité carbone que l'Union européenne s'est fixée, en réduisant à la portion congrue la part des énergies fossiles. Ces dernières représentent actuellement les deux tiers de notre consommation énergétique. Pour cela, l'exécutif mise sur l'électrification des usages au cours des trente prochaines années et s'appuie sur les rapports remis, fin 2021, par RTE, le gestionnaire du réseau de transport électrique, et l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Ce plan s'articule en trois points.
Le premier est la réduction de la consommation globale d'énergie et cela, défend l'exécutif, sans modifier les conditions de vie des Français. Deuxième axe : produire plus d'électricité, dès maintenant. Il compte, là, sur les renouvelables, « seul moyen pour répondre à nos besoins d'ici quinze ans ». En août 2021, Jean Castex avait déjà annoncé le lancement de sept nouveaux appels d'offres, d'une capacité totale de 25 gigawatts (GW), pour rattraper le retard pris par rapport aux objectifs de développement du solaire, de l'éolien et de l'hydroélectricité.
Aujourd'hui, le président évoque une levée des barrières règlementaires pour les projets validés localement. Il fixe aussi des objectifs de capacités installées à l'horizon 2050 : 100 GW de photovoltaïque ; 40 GW d'éolien en mer, soit une cinquantaine de parcs, selon le président (une planification des zones d'implantation sera réalisée) ; et un peu moins de 40 GW d'éolien terrestre, soit un doublement du parc en trente ans, alors que l'objectif actuel est un doublement en dix ans.
De nouveaux réacteurs pour l'après-2035
L'Élysée n'oublie pas non plus les réacteurs modulaires de faible puissance (SMR, pour Small Modular Reactors). Des appels à projets, dotés d'un milliard d'euros, devraient être prochainement lancés : la moitié pour soutenir le développement du projet Nuward, le réacteur modulaire sur lequel travaille EDF, et l'autre moitié pour des « réacteurs innovants ». L'objectif est de disposer d'un prototype en France, d'ici à 2030.
Au total, l'objectif affiché est de déployer un parc de 25 GW de « nouveaux nucléaire », d'ici à 2050. Et pour piloter cette relance, le président compte sur une « direction interministérielle », qui aura la charge de suivre au plus près les avancées de l'ensemble de ce programme estampillé « nouveau nucléaire ». Les pouvoirs publics y consacreront aussi un « financement public massif (…) de plusieurs milliards d'euros ».
Le président veut aussi « prolonger tous les réacteurs qui peuvent l'être ». En creux, il revient sur la décision validée dans le Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de fermer 12 réacteurs à l'horizon 2035 : « Aucun réacteur en état de produire ne doit fermer », estime Emmanuel Macron. Et de demander à EDF d'étudier d'ores et déjà les conditions de la prolongation des réacteurs en service au-delà de cinquante ans.
Quelle concertation ?
Ces annonces, faites à deux mois de l'élection présidentielle, font grincer de nombreuses dents. Sur le plan politique, elles coupent l'herbe sous le pied des candidats ayant annoncé qu'ils lanceraient la construction d'EPR s'ils sont élus. « Il s'agit d'une promesse opportuniste de candidat, pas d'un discours de président », estime d'ailleurs Greenpeace, qui critique « une surenchère, déconnectée de la réalité ».
Reste la question de la concertation. L'Élysée n'est pas favorable à un débat sur la relance du nucléaire. L'exécutif estime que la question n'est pas « pour ou contre le nucléaire ? », mais plutôt « comment sortir des fossiles d'ici à 2050 ? ». Et ce débat, explique l'entourage du président, sera lancé au second semestre 2022 dans le cadre de la révision de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Un débat parlementaire aura aussi lieu en 2023, puisque, depuis l'adoption de la loi Énergie-climat, l'adoption de la PPE passe par une loi, et non plus un décret.
Mais pour Greenpeace, en annonçant dès maintenant la construction d'EPR, le président « vide de sa substance et de sa raison d'être la PPE ». Même critique de la part de Matthieu Orphelin, qui estime que « le débat est volontairement tronqué ». En effet, explique le député écologiste du Maine-et-Loire, « l'expertise technico-économique préalable à toute décision éclairée n'est pas pleinement consolidée et disponible ». Il explique notamment que le chiffrage du scénario « sobriété » de RTE, qui pourrait constituer une alternative à la relance du nucléaire, n'est pas publié. De même, « il semblerait que le ministère ait une nouvelle fois demandé à l'Agence de la transition écologique (Ademe) de décaler la sortie de ses scénarios sur le mix électrique ». Enfin, les audits des coûts et délais de construction des futurs EPR ne sont toujours pas publics. Ces derniers documents le seront, assure Emmanuel Macron.