Le statut d'aires marines protégées (AMP) laisse à penser que les techniques de pêche les plus destructrices y sont interdites. Il n'en est rien, rappelle l'association Bloom, qui, dans une étude (1) réalisée par le doctorant Raphaël Seguin et publiée le 26 mars, montre l'importance de la pression exercée par la pêche industrielle sur les zones protégées européennes. La France, qui possède le deuxième espace maritime mondial, fait partie des mauvais élèves.
L'association, dont l'objet est de lutter contre la destruction des océans, a analysé le temps de pêche de l'ensemble des chalutiers de plus de 15 mètres opérant dans les AMP de l'Union européenne en 2023 à l'aide de chaluts de fonds ou pélagiques (entre deux eaux). Pour cela, elle a croisé les données de pêches (plus de 6 millions d'observations) fournies par la plateforme Global Fishing Watch et les données cartographiques du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), qui recense 6 783 aires maritimes (ou partiellement maritimes) protégées en Europe.
Intensité de pêche plus élevée dans les AMP
Verdict de l'étude ? « En 2023, le chalutage sévissait dans plus de 60 % de la surface des AMP en Europe. Au total, en 2023, l'UE comptabilise près de 6,2 millions d'heures de pêche au chalut dans ses eaux, dont environ 1,7 million à l'intérieur de ses AMP. Ainsi, environ un quart (26,7 %) de l'effort de pêche au chalut en Europe se déroule à l'intérieur des AMP », révèle Bloom. Pire, l'intensité de pêche au chalut, soit le nombre d'heures de chalutage par kilomètre carré, est plus élevée dans les AMP que dans les zones non protégées.
Lancement d'une coalition citoyenne pour la protection de l'océan
L'association Bloom, accompagnée de plus de 80 personnalités, 60 ONG, 15 fondations et huit entreprises, a lancé, mardi 26 mars, une coalition citoyenne destinée à protéger l'océan. « L'océan n'a jamais été aussi chaud, pollué et dévasté par les pêches industrielles, les courants océaniques qui dictent la régulation du climat sont en cours de modifications profondes et irréversibles, les canicules marines explosent, les baleines meurent de faim », alerte Bloom. La coalition demande au président de la République de s'engager sur quinze mesures durant cette année 2024 qu'il a décrétée Année de la mer dans la perspective de la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025. De façon urgente, les signataires demandent la mise en œuvre de trois de ces quinze mesures : interdire le chalutage dans les aires marines protégées, réorienter les subventions publiques vers les méthodes de pêche durables, exclure les navires de plus de 25 mètres d'une bande de 12 milles nautiques le long du littoral.
L'étude révèle également les activités de pêche exercées dans ces zones par les « mégachalutiers » pélagiques. « De gigantesques navires pouvant mesurer jusqu'à 145 mètres de long, capturer 400 tonnes de poissons par jour, soit autant que 1 000 navires de pêche artisanale en une journée », dénonce Bloom, à l'instar de l'Annelies Ilena dont la Compagnie des pêches de Saint-Malo devait débuter l'exploitation en janvier dernier. « Parmi les navires de plus de 80 mètres considérés dans cette analyse, tous ont pêché au moins une fois dans une AMP européenne en 2023 », dénonce l'ONG.
La protection ne réduit pas le chalutage
« En somme, la présence des AMP à l'échelle européenne n'exerce aucune influence sur l'activité de chalutage », conclut Bloom à l'issue de son étude. Ce qui révèle le décalage entre la réalité de la protection et les engagements pris par l'UE et la France. Dans sa stratégie en faveur de la biodiversité, présentée en mai 2020, la Commission européenne a en effet fixé l'objectif d'atteindre 30 % d'AMP d'ici à 2030, dont un tiers sous « protection stricte ». Ce qui interdit en principe toute activité de pêche, même artisanale, dans ces dernières, indique l'association. L'Union internationale pour la protection de la nature (UICN) recommande, de son côté, d'exclure la pêche industrielle de toutes les AMP. En 2020, moins de 1 % des eaux européennes était strictement et efficacement protégé, estimait la Commission européenne.
En outre, le Gouvernement a pris en avril 2022 un décret qui définit la notion de protection forte. Selon cette définition, les pressions humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques dans ces zones peuvent n'être qu'évitées ou que fortement limitées. Une définition amoindrie des zones à protection forte, selon Bloom, qui a attaqué le décret devant le Conseil d'État en octobre 2022.
« Ainsi, conclut l'ONG à l'issue de son étude, les zones désignées pour la protection de la biodiversité ne protègent pas les écosystèmes marins [ni] la pêche artisanale des plus grands navires de pêche industrielle, dont l'impact sur les écosystèmes, le climat et les pêcheurs artisans est pourtant catastrophique. » Dans ces conditions, les AMP « ne peuvent remplir leur rôle primordial de protection et de restauration de la vie marine, de sauvegarde de la pêche artisanale et de conservation des puits de carbone océanique ».