« Je suis persuadée que le dossier "pesticides" sera dans vingt ans celui de l'amiante aujourd'hui », prophétise l'avocate et ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage, en présentant ce mercredi 15 mai une action collective en faveur des victimes non professionnelles des produits phytopharmaceutiques.
Cette initiative, lancée via une plateforme baptisée « Agir collectivement (1) », vise à recueillir le mandat du plus grand nombre de victimes en vue de demander réparation de leur préjudice à l'État. « Il s'agit de donner accès à la justice à tous, sur le plan financier mais aussi de l'accès à l'information, de regrouper des personnes et de pouvoir peser », explique l'avocate Madeleine Babès.
Inégalité de traitement
L'initiative est partie du constat d'une inégalité de traitement entre les victimes professionnelles, d'une part, c'est-à-dire essentiellement les agriculteurs et, d'autre part, les riverains, qui subissent l'épandage de pesticides. Trois maladies professionnelles en lien avec les pesticides sont reconnues pour les agriculteurs, explique Corinne Lepage : le cancer de la prostate, des lymphomes non hodgkiniens et la maladie de Parkinson. En outre, un fonds d'indemnisation des victimes professionnelles des pesticides a été créé en 2020.
« Il n'est pas normal que les riverains n'aient pas la même reconnaissance alors qu'ils peuvent se retrouver dans des conditions pires que celle des agriculteurs », fait valoir l'avocate, qui tient toutefois à préciser que l'initiative n'est pas dirigée contre les agriculteurs. Il existe en effet des règles précises pour les professionnels en termes d'équipements de protection, d'épandage et d'interdiction de revenir sur une parcelle pendant un laps de temps précis après l'épandage.
Trois catégories de victimes
L'action lancée vise à fédérer des riverains habitant à moins de 150 mètres de zones d'épandage, souffrant de l'une des pathologies visées par les tableaux de maladies professionnelles. Mais aussi ceux, parmi lesquels en particulier des enfants, souffrant d'autres pathologies.
« Les impacts des produits phytopharmaceutiques sont désormais bien documentés, notamment par des expertises scientifiques collectives récentes réalisées par l'Inrae, l'Ifremer, l'Ipbes et l'Inserm, peut-on lire dans la stratégie Écophyto 2030 présentée le 6 mai dernier par le Gouvernement et sur laquelle les avocates comptent s'appuyer. Ces expertises ont conclu à une présomption forte de lien entre l'exposition professionnelle aux produits phytopharmaceutiques et six pathologies : lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. » Ce qui montre que le Gouvernement ne doute pas de ce lien, relève Corinne Lepage.
À ces deux catégories de victimes s'en ajoute une troisième : des personnes qui n'ont pas déclaré de maladie, mais qui subissent un préjudice d'anxiété, dont il est possible d'obtenir réparation sous certaines conditions.
Ne pas avoir à supporter la charge de la preuve
Dans la stratégie Écophyto, le Gouvernement envisage la possibilité de « mettre en œuvre et de financer un dispositif d'indemnisation des riverains, voire d'autres catégories de personnes, ayant contracté une maladie d'origine non professionnelle, en lien avec l'exposition prolongée et répétée aux produits phytopharmaceutiques ». Mais pour affirmer immédiatement après que « la présomption d'imputabilité prévue par les tableaux de maladies professionnelles ne sera, par définition, pas applicable dans un cadre autre que professionnel ». Or, explique l'avocate, c'est cette présomption qui peut seule permettre l'indemnisation car le lien de causalité est toujours extrêmement difficile à établir en matière de santé environnementale. Le but de l'action est donc d'obtenir un régime d'indemnisation pour les riverains dans lequel ils n'auront pas à supporter la charge de la preuve.
Concrètement, les avocates souhaitent réunir d'abord le plus grand nombre de victimes, entre 15 et 20 s'étant déjà fait connaître. Elles adresseront en juin une demande d'indemnisation au Premier ministre et aux ministres compétents (Santé, Agriculture). En cas de refus de ces derniers, elles saisiront la justice administrative. Le recours dirigé contre l'État pourrait être fondé sur une rupture d'égalité devant les charges publiques et/ou sur la carence de l'État dans la fixation de distance limites permettant de protéger la population.
Les avocates comptent sur l'évolution de la jurisprudence dans un sens favorable aux victimes, comme l'ont montré des décisions en faveur de personnes atteintes de lymphomes non hodgkiniens aux États-Unis ou encore les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne favorables à la protection des personnes.
L'objectif de l'action est aussi de « faire bouger les lignes » en montrant au Gouvernement le nombre de personnes concernées et l'étendue des conséquences de son inaction. « L'action collective sur le compteur Linky avait permis un vrai débat en France », appuie Corinne Lepage.