C'est un des nombreux rapports commandés par la loi anti-gaspillage et économie circulaire (loi Agec) que le Gouvernement vient de publier. Et le sujet est loin d'être anodin : l'obsolescence logicielle (1) . Ce phénomène, qui consiste à rendre obsolète un appareil numérique en ne proposant plus de de mise à jour logicielle compatible, compte pour près de 20 % dans les motifs de renouvellement de smartphones ou autres tablettes. Conscients de cette gabegie, les parlementaires ont ouvert le débat lors de l'examen de la loi Agec en 2019. Faute de savoir comment légiférer sur ce phénomène, ils se sont laissés le temps de la réflexion en commandant un rapport.
Confié au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et au Conseil général de l'économie (CGE), le rapport formule huit propositions visant à lutter contre l'obsolescence logicielle et à allonger la durée de vie des appareils numériques. Il conseille de faire évoluer le droit français et surtout européen. Dans un marché mondialisé, l'échelle de l'Europe serait la plus appropriée. « La mission considère que le niveau européen est d'autant plus approprié que le contexte est favorable. En effet, la Commission a publié en 2020 un nouveau plan d'action sur l'économie circulaire, incluant une initiative en matière de politique de produits durables. »
Distinguer les mises à jour nécessaires de celles qui ne le sont pas
L'une des préconisations du rapport consiste à améliorer l'accès des consommateurs aux mises à jour tout en distinguant celles qui sont nécessaires au maintien de la conformité des biens, et celles qui ne le sont pas. « Cela va permettre au consommateur d'avoir l'information la plus transparente possible sur l'impact des mises à jour sur son bien, tout en limitant la taille des mises à jour indispensables, afin d'éviter les cas d' « obésiciels » (mise à jour logicielle trop lourde pour que l'équipement le supporte, et donc limitant la durée de vie de l'appareil) », explique le ministère. Cette mesure est déjà prévue dans le cadre de la transposition en cours des directives européennes « produits et services numériques » et « vente de biens ».
Cette distinction entre mise à jour nécessaire ou non est un préalable à la mise en œuvre d'une autre préconisation du rapport : imposer aux fabricants de fournir gratuitement les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité du bien pendant une durée correspondant à la durée d'usage attendue, par exemple cinq ans pour un smartphone. « Cette recommandation serait d'ailleurs beaucoup plus bénéfique qu'une extension de la durée de garantie légale de conformité, explique le ministère. Car elle est plus contraignante et plus efficace. Le consommateur serait certain de recevoir les mises à jour qui vont permettre la conformité logicielle de son bien pendant cinq ans, et donc de prouver très facilement s'il n'en a pas reçu une. »
Intégrer les logiciels dans l'indice de réparabilité
Enquête sur l'obsolescence des TV
L'association Halte à l'obsolescence programmée (Hop) publie une nouvelle enquête sur les téléviseurs intitulée « Petit écran, grand gaspillage ». D'après l'étude, leur durée d'usage se situerait autour de 7 ans et demi, contre les 11 ans espérés par les consommateurs. Les pannes récurrentes constatées concernent principalement trois cas : le rétro-éclairage ; les condensateurs de mauvaise qualité, voire sous-dimensionnés ; ou encore la non réparabilité des cartes « contrôleur » de la dalle LCD. Par ailleurs, les pannes logicielles des téléviseurs, de plus en plus connectés, accélèrent l'obsolescence. Les téléviseurs sont victimes de phénomènes d'« obésiciel », de manque de mémoire, de problèmes de mise à jour ou d'incompatibilité avec les applications, remarque l'association. Elle appelle par conséquent les fabricants à signer une charte d'engagement volontaire pour améliorer la situation.
Le CGEDD et le CGE proposent également de réaliser une étude destinée à identifier les bons leviers pour interdire les pratiques logicielles qui bloquent le fonctionnement d'un appareil, et qui le rendent souvent irréparable.
Enfin, le rapport propose de mieux informer le consommateur, notamment en incluant des critères relatifs à la pérennité des logiciels d'un bien dans le futur indice de réparabilité européen en cours de préparation.
Des opportunités législatives en Europe mais aussi au niveau national
Que faire de ces préconisations ? Plusieurs travaux européens pourraient inclure ces réflexions. La Commission européenne prépare, d'ici fin 2021, une révision de la directive éco-conception, et notamment l'éco-conception des logiciels. À court terme, la Commission prépare également un règlement sur les smartphones, qui constitue une « excellente opportunité pour l'adoption de mesures », estime le CGEDD et le CGE. Une opportunité que compte saisir le Gouvernement : « Le cadre de la présidence française de l'UE du premier semestre 2022 sera, à cet égard, un atout pour véritablement pousser ces évolutions réglementaires », assure le ministère de la Transition écologique.
Au plan national, la transposition des directives européennes « produits et services numériques » et « vente de biens » n'est pas la seule occasion de faire progresser le sujet. La proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique semble tout à fait appropriée. Adoptée en première lecture au Sénat le 12 janvier 2021, elle vient d'être adoptée par l'Assemblée nationale. Si le texte, dans sa version actuelle, ne fait pas référence explicitement à l'obsolescence logicielle, il consacre un article (art. 10) aux mises à jour. La deuxième lecture du texte sera sans doute une occasion de renforcer le dispositif.