Alors que les négociations climatiques sont en panne, l'étude internationale sollicitée par AXA, présentée à Paris jeudi 4 octobre, montre que la perception du changement climatique est désormais "un fait structurant de l'opinion mondiale", souligne Stéphane Zumsteeg, directeur du département Opinions à l'Institut Ipsos. "D'une croyance empirique, il est devenu, pour l'opinion, un fait scientifique. Les jeunes en particulier sont les plus convaincus : 87% des 18-24 ans estiment que le changement climatique a été scientifiquement prouvé". Alors que le sujet a pu faire l'objet de controverses ces dernières années, catalysées par quelques climato-sceptiques, près de 9 sondés sur 10 pensent aujourd'hui que le climat a changé au cours des vingt dernières années.
Une enquête de grande ampleur
Menée dans 13 pays du monde (1) sur trois continents auprès de 13.000 personnes, cette étude relève d'un dispositif innovant, qui fait apparaître à quel point, malgré la crise, le changement climatique reste une préoccupation de premier plan : près de 9 sondés sur 10 se déclarent anxieux, notamment ceux des "nouvelles économies" (Turquie, Hong-Kong, Indonésie, Mexique) où l'inquiétude est quasi unanime. 47% des sondés en Indonésie et en Turquie estiment même que le changement climatique a eu des répercussions sur leur santé. Globalement, 30% des personnes interrogées déclarent que le changement climatique a affecté leur confort personnel. Une large majorité estime que "tous les pays devraient fournir les mêmes efforts pour résoudre les problèmes liés au changement climatique", ce qui laisse à penser que les pays du Sud sont désormais prêts à réaliser leur part d'effort.
Les opinions publiques sont manifestement plus sensibilisées que les Etats : l'étude souligne le décalage béant entre le blocage des négociations politiques et l'anxiété des populations. Bettina Laville, Conseillère d'Etat, associée au cabinet du groupe Landwell, rappelle le vide politique actuel, qui exprime une forme de sidération face à l'ampleur du problème : "A Copenhague, tout a été repoussé, au point qu'entre aujourd'hui et 2020, il n'y a plus aucun mécanisme contraignant. Sept ans de trou total sur les mécanismes mondiaux !".
Un milliard de tonnes de carbone émis en 1950, neuf milliards aujourd'hui
Pour le climatologue Hervé le Treut, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et membre de l'Académie des sciences, "les éléments que l'on voit survenir aujourd'hui sont les conséquences de ce qui était prévu dans les années 70. La réalité du changement climatique est là, mais on continue, comme il y a trente ans, d'imaginer le futur à partir du présent. Or les conséquences d'une planète réchauffée à 3°C, voire à 6 ou 7°C n'auront rien à voir avec ce qu'on est en train de vivre aujourd'hui. En 1950, la quantité d'émissions globales étaient d'un milliard de tonnes de carbone, en 1970, elles atteignaient 3 milliards, puis 7 milliards en 2000, et 9 milliards aujourd'hui. Voilà où nous en sommes".
Jusqu'à quel point peut-on anticiper ? "Ce qui peut survenir est encore trop coloré par ce que l'on voit. Il ne faut pas imaginer le futur comme la répétition de l'actuel. Une des caractéristiques des changements à venir, c'est qu'ils vont arriver comme des surprises, souligne Hervé le Treut. Il y aura des zones plus vulnérables que d'autres. D'ores et déjà, il y a des événements à anticiper, comme le besoin de dessaler l'eau de mer autour de la Méditerranée et les vagues de chaleur".
Le secteur de l'assurance est confronté à ces nouveaux risques, liés à un réchauffement de 3 à 4°C au XXIème siècle. Elévation du niveau de la mer, inondations, phénomènes météorologiques extrêmes, "les assureurs doivent, plus que jamais, surveiller les risques climatiques", souligne Henri de Castries, PDG du Groupe AXA, risques "dont l'évaluation est de plus en plus critique pour la pérennité de cette industrie", selon une publication du groupe.
Assurance responsable et risques de réputation
Pour Bettina Laville, les assureurs, à la fois concernés et menacés, risquent d'être de plus en plus sollicités "Les acteurs économiques sont entrés dans la lutte contre le réchauffement dans leur propre intérêt. Il y a mobilisation car la production et la manière de produire sont impactés par le changement climatique. Les Etats ne sont plus en mesure d'assurer les risques du public. L'organisation de la société fait que les gens se tournent vers ceux qui les protègent. Donc la pression de vos clients et de l'Etat vous menacent".
Parce qu'il va devoir subvenir au besoin de sécurité des populations et des collectivités, "AXA mène à travers le monde des projets d'éducation et de prévention des risques, notamment climatiques, financés par un budget de 20 millions d'euros par an", expose Jean-Christophe Ménioux, directeur des risques du groupe, qui annonce de nouveaux produits d'assurance, incitant à des comportements plus vertueux, tels que des primes aux scooters électriques et à l'habitat écologique.
Axa, dont le slogan est "Réinventons notre métier", a souscrit à Rio (Brésil) en juin dernier aux Principes pour l'Assurance responsable, lancés par les Nations unies et le PNUE afin d'intégrer les enjeux écologiques dans le secteur. Sa filiale de gestion de fonds d'actifs, Axa IM, est signataire de la charte pour les investissements responsables et du Carbon Disclosure Project. Cependant, les fonds labellisés ISR (Investissement socialement responsables) d'AXA ne représentent que 0,4 % de ses encours et la firme, sixième gestionnaire d'actifs de la planète, investit dans les matières premières à travers des fonds cotés en bourse – monocultures agricoles et exploitations forestières sur plusieurs continents, énergie (agrocarburants, sables bitumineux), projets miniers impliquant la mainmise sur des terres habitées par des populations autochtones en Inde... "On a exclu les entreprises impliquées dans les mines anti-personnel. On est en train de réfléchir à étendre cette liste", rassure le directeur des risques du groupe AXA.