D'ici à 2035, pour répondre aux besoins en hausse d'électricité et être sur la voie de la neutralité carbone pour 2050, « il faut activer quatre leviers : l'efficacité énergétique, la sobriété, les énergies renouvelables et le nucléaire », indique Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de RTE. Avant de prévenir : « Renoncer à un de ces quatre leviers, c'est prendre un risque. Il y a peu de marges de manœuvre. »
Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité a présenté, mercredi 7 juin, une étude sur les enjeux de l'électrification d'ici à 2035. L'objectif : mettre à jour les scénarios de son étude sur les futurs énergétiques à 2050, publiée en 2021, afin de prendre en compte les plus récentes évolutions.
Une consommation électrique en hausse d'ici à 2035
« On est bien sur une trajectoire de hausse de la consommation d'électricité à 2030-2035, ce que l'on avait déjà prévu dans nos précédents scénarios. S'il est peu probable que cela se matérialise immédiatement, car la décarbonation prend du temps, en revanche, nous serons dans une trajectoire haussière dans la deuxième partie de la décennie », prévient Thomas Veyrenc. Le scénario le plus élevé prévoit une consommation électrique comprise entre 580 térawattheures (TWh) et 640 TWh en 2035, contre 453 TWh en 2022 et 467 TWh en 2021.
La décarbonation va en effet s'accélérer avec la hausse des ambitions européennes. Celle-ci touchera plusieurs secteurs, qui vont basculer d'une énergie fossile vers l'électricité et/ou l'hydrogène. À l'instar des sites industriels existants, des transports lourds ou des besoins en chaleur, notamment pour le chauffage des bâtiments, via un développement massif des pompes à chaleur. Une nouvelle demande devrait également apparaître avec la réindustrialisation et la relocalisation d'activités. Comme l'installation de gigafactories de batteries, de photovoltaïque ou encore l'implantation de centres de données, jusque-là installés à l'étranger.Sobriété : des changements structurels difficiles à accepter
S'ils se disent prêts à certains changements pour atteindre la neutralité carbone, les Français sont moins allants quand il s‘agit de changements structurels, impactant profondément leur mode de vie actuel, révèle un sondage RTE-Ipsos. Les citoyens disent oui à des gestes de sobriété, comme ils l'ont fait cet hiver, à des changements d'équipements, à l'électrification des véhicules et du chauffage. En revanche, ils sont moins nombreux à envisager une réduction de l'usage de la voiture ou de la taille des logements. Enfin, le renoncement au véhicule individuel, le partage des espaces de vie et la bascule vers le logement collectif sont très éloignés de leurs aspirations.
« Les Français sont conscients qu'un changement des modes de vie est nécessaire. Cependant, ils attendent de pouvoir disposer de solutions économiques et techniques adaptées, et une transition qui se fasse dans le respect des spécificités sociales et territoriales. Leurs aspirations sont une donnée d'entrée des travaux à mener pour se décarboner », analyse Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.
En parallèle, des mesures d'efficacité énergétique, telles que la réduction des consommations unitaires des équipements, liée à la réglementation, et la rénovation énergétique des bâtiments, sont attendues. « Il s'agit d'un levier très puissant », qui devrait permettre d'économiser 100 TWh d'électricité par an d'ici dix ans, estime Thomas Veyrenc. Des mesures de sobriété peuvent, quant à elles, apporter des gains de 40 à 60 TWh. « Il s'agit de gestes simples, comme la chasse au gaspillage, qui, comme on l'a vu cet hiver, peuvent être très efficaces », explique le directeur exécutif. Mais aussi de changements plus structurels qui impliquent, quant à eux, des changements de modes de vie et de comportements plus radicaux. Ce levier « est plus long à déployer ».
Nucléaire et renouvelables sont indispensables
Le mix énergétique est-il capable de répondre à cette électrification des usages ? « C'est possible, même en prenant en compte la trajectoire de consommation la plus haute. Mais c'est un défi », tranche Thomas Veyrenc. Pour y parvenir, nul besoin d'opposer énergies renouvelables et nucléaire : les deux seront indispensables pour répondre aux besoins.
Les énergies renouvelables terrestres, comme l'éolien et le photovoltaïque, seront les premières à répondre à cette accélération avant 2030. L'accélération souhaitée par le Gouvernement sur l'éolien en mer devrait venir renforcer le mix électrique un peu plus tard, à l'horizon 2030-2035, le temps de la mise en service des futurs parcs envisagés. Enfin, le nouveau nucléaire ne complètera ce mix qu'après 2035.
Selon les estimations de RTE, 250 TWh d'ENR devront être développés d'ici à 2035, contre 120 TWh aujourd'hui. Soit une multiplication par trois de la production renouvelable actuelle (hors hydroélectricité) en douze ans. « On pourrait atteindre 300 TWh en s'approchant des meilleures pratiques européennes, indique Thomas Veyrenc. Ça parait beaucoup, mais c'est encore en dessous de l'ambition de certains de nos voisins européens. »
Le parc nucléaire historique devrait, quant à lui, apporter une production de 350 TWh au même horizon, auxquels devraient s'ajouter les 10 TWh de l'EPR de Flamanville. Cette production pourrait être portée à 400 TWh en améliorant la disponibilité du parc, estime RTE.