« Oui, il est ubuesque que certains, dérangés par le bruit des tracteurs et des moissonneuses, s'attaquent à ceux qui nous nourrissent alors même qu'ils avaient connaissance de l'environnement dans lequel ils s'installaient ! Désormais, cela ne sera plus possible, et c'est heureux », s'est félicité le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, lundi 8 avril devant l'Assemblée nationale. Les députés ont adopté définitivement, à une large majorité, la proposition de loi (1) visant à inscrire dans le code civil le régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage qui reposait jusque-là sur la seule jurisprudence de la Cour de cassation.
Ce texte, publié au Journal officiel du 16 avril, inscrit donc dans la loi ce régime de responsabilité et reprend le régime d'exonération lié à la théorie de la pré-occupation. Selon celle-ci, la responsabilité de l'activité source de nuisances ne pourra être engagée si le voisin s'est installé postérieurement et que l'activité s'est poursuivie dans les mêmes conditions ou sans aggravation du trouble anormal. Mais la nouvelle loi prévoit aussi un régime de responsabilité spécifique aux activités agricoles, introduit par le Sénat avec le soutien du Gouvernement en réponse aux revendications du monde agricole.
« Ne pas pénaliser les exploitants agricoles »
Selon ce régime figurant à l'article L. 311-11-1 du code rural, dans sa rédaction résultant de la commission mixte paritaire, la responsabilité ne peut être engagée lorsque « le trouble anormal provient d'activités agricoles existant antérieurement à l'acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d'acte, à la date d'entrée en possession du bien par la personne lésée ». Pour bénéficier de cette exonération, les activités agricoles doivent « être conformes aux lois et aux règlements ». Elles doivent également « s'être poursuivies dans les mêmes conditions », ou « dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal », ou encore « dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l'exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité ».
« C'est une loi forte, très attendue par le monde agricole et notamment les nouveaux installés, qui vivront ainsi plus sereinement la pratique de leur activité au quotidien. Il était important d'inscrire dans la loi le sujet des troubles anormaux de voisinage en définissant la vie rurale et agricole dans nos territoires », a salué le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. Les syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteurs se félicitent également, via un communiqué commun, « d'une telle avancée qui vient protéger les agriculteurs, le monde rural et renforcer la liberté d'entreprendre en agriculture ».
« Rupture d'égalité »
L'intégration de ce régime de responsabilité propre aux activités agricoles devrait en effet brider un certain nombre de recours de voisins mécontents des nuisances subies. Une limitation de responsabilité dénoncée par les députés écologistes et de la France insoumise. « Nous sommes en désaccord avec ce texte, pour deux raisons », a expliqué Jérémie Iordanoff (Ecol. – Isère). D'abord, « il élargit inutilement le champ d'application de la cause légale d'irresponsabilité, introduite dans notre droit en 1976 (…) ». Ensuite, a ajouté le député écologiste, la protection spéciale accordée aux agriculteurs constitue « une rupture d'égalité » qui va « très clairement à l'encontre du droit au recours, et apparaît comme anachronique à l'heure où nous devrions nous concentrer sur la concrétisation du droit à un environnement sain ».
« Le texte permettra à l'agriculture intensive de s'étendre, malgré ses externalités polluantes, mais aussi d'assouplir les contraintes relatives à la constructibilité des terres (…). Vous alimentez la caricature d'un face-à-face entre des agriculteurs présumés victimes et des néoruraux présumés dangereux », a également interpellé Thomas Porte (LFI – Seine-Saint-Denis).
Reste à voir comment les juges vont interpréter ces nouvelles dispositions et faire évoluer la jurisprudence existante. « Le code civil comme les autres codes n'ont pas besoin d'être exhaustifs. S'agissant de troubles complexes à évaluer, l'appréciation du juge est nécessaire. Il est tout à fait louable de vouloir rendre le droit plus lisible, mais il peut être dommageable de l'enfermer dans des dispositions strictes », a fait remarquer le député Gérard Leseul (Soc. – Seine-Maritime), dont le groupe a, malgré tout, voté le texte.